Les années s’écoulent lentement, on pourrait presque compter chaque grain qui tombe d’un côté du sablier pour aller de l’autre. La Russie est le pays où je suis née, et malgré ses paysages magnifiques, sont château que j’adorais visiter, j’en garde un très mauvais souvenir. Cette période de ma vie est révolue, et tout ce que je souhaite, c’est de ne plus y repenser. Hélas, les souvenirs vont et viennent, et obnubilent parfois. Chaque fois que je croise un homme à grande carrure, physique impressionnant, je ne peux m’empêcher de repenser à mon père, à ses poings qui s’abattaient avec violence sur moi. Je me revois, terrorisée, en boule dans un coin de ma chambre lorsque je l’entendais monter. Mon corps avait appris à le sentir, et dès qu’il entrait dans la même pièce que moi, je sentais mes poils se hérisser instantanément. Depuis que ma mère était morte, cela avait été ainsi. Du jour au lendemain, le père tendre et aimant que je connaissais avait cédé la place à un monstre que je ne reconnaissais pas. Une simple voiture pouvait faire changer un homme aussi irrémédiablement que cela.
Mes souvenirs se portèrent cette fois sur cette journée où tout a basculé. J’étais en voiture, avec ma mère, et nous riions. Nous venions d’avoir acheté tout le nécessaire des ingrédients qui nous fallait pour faire un merveilleux gâteau d’anniversaire à mon père, le lendemain. Mais une voiture dévia sans prévenir garde, et ma mère n’eut pas le temps de faire dévier la nôtre. Nous la percutâmes de plein fouet. Certaines nuits, je revis ce moment horrible, et j’ai encore ce son affreux dans mes oreilles, qui bourdonne en musique de fond toute la journée qui suivra. J’avais réussi à m’en sortir, mais ma mère n’avait pas eu cette chance. Je l’avais vue percuter de plein fouet le pare-brise. Et c’était la fin.
Depuis ce jour, mon père me prend pour la meurtrière de ma mère, et se venge sur moi dès qu’il me croise. Cela faisait un an que cela durait. J’avais tout de même la chance d’avoir un professeur d’anglais compréhensif, et m’avait donné l’adresse d’un pensionnat en Angleterre, où il avait lui-même étudié. Je lui faisais confiance. Il ne me fallut pas longtemps avant de prendre cette décision ; c’est-à-dire prendre mes cliques et mes claques, et sortir de cet enfer. Heureusement, j’avais gardé assez d’argent de côté pour payer une année au pensionnat. Pour ce qui serait des années à suivre, j’aviserais le moment venu.